(Les passages surlignés en gras italique sont de notre fait).
M. Philippe Gosselin. Monsieur le président, je vois que la garde des sceaux et le rapporteur ne sont pas encore revenus. Peut-être pourrait-on attendre un peu ? Il n’y a personne, en fait !
M. le président. M. le président de la commission des lois et Mme la ministre de la famille sont présents.
M. Philippe Gosselin. Mais les rapporteurs ne sont pas là. Peut-être pourrait-on leur laisser le temps de revenir ?
M. le président. La commission est représentée. D’ailleurs le rapporteur est là.
M. Erwann Binet, rapporteur. Je n’étais pas au banc mais je n’ai pas quitté l’hémicycle !
M. Philippe Gosselin. Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, nous voilà donc, après de nombreuses semaines, dans le vif du sujet. Et les échanges sont vifs aussi, comme en témoignent les propos un peu outranciers de M. Le Roux.Le projet de loi que nous examinons pose d’importantes questions – qui méritent moins de passion et de propos outranciers – sur la filiation et le droit des enfants, mais aussi sur le sens que l’on donne à l’égalité des droits et au rôle de l’État face aux désirs individuels.C’est à ce titre et pour ces raisons importantes que les députés de l’opposition, portés par la volonté de très nombreux citoyens, ont demandé qu’un large débat public, hors de l’enceinte du Parlement, soit ouvert sur le sujet avant de mettre en marche la procédure législative.Des états généraux de la famille auraient en effet permis d’aborder sans détours les évolutions qu’a connu au cours des dernières décennies cette cellule de base fondamentale qu’est la famille : augmentation des divorces, multiplication des familles monoparentales et recomposées, par exemple. Les familles sont aujourd’hui diverses, nul ne le conteste. La société évolue et nous n’avons pas la nostalgie de la famille du XIXe siècle qui est parfois idéalisée, il faut bien le reconnaître.Sauf à craindre les vérités qu’il pourrait faire émerger, le débat est toujours profitable tout particulièrement quand il porte sur les sujets de société, ceux qui touchent, dans leur vie quotidienne, les citoyens qui nous ont élus pour les représenter et servir l’intérêt général – notion parfois oubliée – de la nation, au-delà des désirs individuels de chacun.Il ne suffit pas de dire que le programme du candidat devenu Président de la République comportait un engagement n° 31, en balayant le reste d’un revers de main ! Non, les Français n’ont pas ratifié, comme je l’ai entendu précédemment, cette proposition n° 31 comme un seul homme.
Plusieurs députés du groupe SRC. Si !
M. Philippe Gosselin. La majorité a refusé que des états généraux de la famille soient organisés, sur le modèle de ceux qui avaient précédé la révision des lois de bioéthique. Elle prive ainsi les citoyens d’un débat national et suscite un climat de défiance et crée de regrettables divisions dans la société française, alors même que la crise que traverse actuellement notre pays et notre société appelle l’unité et l’union.Je remarque que le Président de la République lui-même ne s’est pas plus investi. Il a refusé catégoriquement de recevoir l’entente parlementaire qui regroupe, excusez du peu, 220 députés et sénateurs. Sans commentaire ! Cela montre le mépris dans lequel nous sommes tenus aujourd’hui.
M. François Rochebloine. Très bien !
M. Philippe Gosselin. À défaut d’états généraux, les députés et sénateurs doivent donc se contenter – vous me direz que c’est déjà essentiel – du débat parlementaire classique que connaît tout projet de loi. Cela donne le sentiment qu’il ne s’agit que d’un débat technique alors qu’on sait très bien, s’agissant de toutes ces questions de société, qu’il existe un effet de cliquet : on ne revient jamais sur ce qui a été voté ! Cela justifie donc d’insister avec force ici.Le débat parlementaire liminaire, nous a-t-on dit, a été extraordinaire, à la hauteur des espérances. Eh bien non ! Je ne partage pas ce point de vue.La commission spéciale que nous appelions de nos vœux a été refusée par la majorité alors qu’elle pouvait intéresser l’ensemble des députés, l’ensemble des commissions.
M. Hervé Mariton. Hélas !
M. Philippe Gosselin. Les auditions ont été menées le plus souvent à charge et non à décharge. Beaucoup de personnes ont été entendues, c’est vrai… mais la plupart d’entre elles allaient dans le même sens. Ce ne sont pas quelques rattrapages à la fin du processus, bien insuffisants au demeurant, qui permettront de rétablir l’équilibre.Je ne peux que regretter la méthode retenue par le Gouvernement et la majorité de cette assemblée sur une telle question de société.Mais au-delà de la forme se pose la question bien plus importante du fond. L’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples de même sexe ne me semble pas être la réponse adéquate aux objectifs poursuivis, qui pourtant apparaissent aujourd’hui légitimes. En effet, le Gouvernement a présenté ce projet de loi comme un remède aux difficultés quotidiennes que rencontrent les couples de même sexe et leurs familles ainsi qu’aux discriminations que subissent les personnes homosexuelles. Ces objectifs font désormais l’objet d’un large consensus au sein de la représentation nationale – je le rappelle, nous en sommes plus dans le débat de 1999 sur le PACS ! Mais c’est la réponse du Gouvernement qui ne fait pas l’unanimité : il a cherché à radicaliser, à cliver, à rompre l’équilibre là où il semblait possible. Et la gauche a le visage que nous avons pu voir avec M. Le Roux. Je le regrette profondément.Le mariage n’est pas un simple contrat. C’est une institution française et républicaine qui s’organise selon un mode différent de celui en vigueur dans d’autres pays de l’Union européenne. C’est une institution liant un homme et une femme et légitimant leur descendance éventuelle. C’est une institution qui encadre autant les relations parents-enfants que les relations entre époux. D’ailleurs, il ouvre des droits aux parents qui survivent à sa rupture, c’est-à-dire au divorce. C’est pourquoi il n’est pas conçu pour encadrer l’union de deux hommes ou de deux femmes qui est, par définition, infertile. C’est parce que le mariage est une institution intimement liée à la filiation que le fait qu’il ne soit ouvert qu’aux couples hétérosexuels ne constitue pas une rupture d’égalité. En effet, il y a rupture d’égalité lorsque des personnes se trouvant dans des situations identiques sont traitées de manière différente. L’égalité n’est pas la similitude .Il apparaît donc important de préserver l’essence même du mariage. Il est également légitime de proposer aux couples de même sexe une amélioration juridique et symbolique de leur situation, qui permettrait de répondre à leurs interrogations fondées concernant le devenir du conjoint en cas de décès ou de séparation. C’est l’intérêt du contrat d’union civile ou de l’alliance que le groupe UMP et moi-même proposons par voie d’amendement. C’est une solution responsable : elle préserve la spécificité du mariage qui concerne la très grande majorité des familles françaises et que traduisent ses dispositions relatives à la filiation ; elle sécurise la situation des couples de même sexe. Évidemment, cette proposition est trop consensuelle : le Gouvernement et la majorité refusent d’en entendre parler. Je regrette vraiment ce dogmatisme érigé au rang de principe.Sur le deuxième volet du projet de loi, à savoir l’accès à l’adoption, il faut rappeler que celle-ci consiste à donner des parents à un enfant, et non un enfant à des parents. Cette apparente subtilité masque une différence de taille. En effet, le législateur doit protéger les plus faibles. Il est de notre responsabilité de veiller à ce qu’au sein de notre société, le droit de l’enfant soit toujours respecté et défendu. Or, en vertu d’un jeu de dominos juridiquement implacable, après le mariage et l’adoption c’est bien l’accès à la procréation médicalement assistée qui sera ouvert aux couples de femmes puis, en vertu de la non-discrimination des sexes, l’accès à la gestation pour autrui aux couples d’hommes.
M. Bernard Roman. Fantasme !
Mme Corinne Narassiguin. C’est un procès d’intention !
M. Philippe Gosselin. Certes, vous allez me dire que le texte actuel ne fait pas référence à la procréation médicalement assistée mais le Gouvernement, vous le savez cher M. Roman, prévoit de l’insérer dans un projet de loi dans quelques semaines – pas plus tard qu’au mois de mars.
M. Bruno Le Roux. Bravo !
M. Philippe Gosselin. Il ne s’agit donc pas d’un fantasme ! Vous savez que la gestation pour autrui est un sujet d’importance. Le ministère y réfléchit actuellement. Les exemples du Danemark et de la Suède sont éloquents. Et que dire du rapport de la sénatrice socialiste Michèle André qui préconise la gestation pour autrui en France : fantasme là aussi ? La procréation médicalement assistée entraîne inéluctablement, à terme, la légalisation des mères porteuses, il faut le rappeler. Ce serait là une dérive de la société : le droit à l’enfant prendrait le pas sur le droit de l’enfant. C’est aussi la logique de l’enfant à tout prix qu’on ne saurait accepter en tant qu’elle est la satisfaction d’un désir d’enfant qui ne peut être assouvi sans intervention de l’État. Pour résumer ce point, mariage et adoption signifient inévitablement procréation médicalement assistée et gestation pour autrui (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. François Rochebloine. Très bien !
M. Bernard Roman. C’est affligeant !
M. Philippe Gosselin. Non, nous ne voulons pas d’un projet à la découpe, nous ne voulons pas d’une vente par appartements (Mêmes mouvements.) L’État doit-il lever l’obstacle biologique qui, aujourd’hui, empêche les couples homosexuels de satisfaire leur désir d’enfant ? Le législateur doit-il approuver tous les textes ? Non, je crois que le législateur ne doit pas créer de toutes pièces une fiction juridique pour faire apparaître un enfant dans le foyer d’un couple homosexuel en niant la filiation et la biologie (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
Mme Marie-George Buffet. Le bonheur de l’enfant ne vous intéresse vraiment pas !
M. Philippe Gosselin. Le législateur n’est pas un simple greffier de l’état de la société.En conclusion, le débat d’aujourd’hui est tout sauf secondaire. Il est essentiel, il est emblématique de toutes ces réformes de société dans lesquelles le Gouvernement et la majorité veulent entraîner le pays. Celles-ci constituent, je n’hésite pas à le dire, une offensive ultra-libérale, individualiste, voire libertaire, comme on n’en a pas connu peut-être depuis mai 1968 : filiation, droit de la famille, politique familiale, recherche sur l’embryon, euthanasie et autres théories du genre… (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)
M. Bernard Roman. Vous êtes tous d’accord ?
M. Philippe Gosselin. Pour finir, si le débat actuel ne concernait que le mariage, il n’y aurait sans doute pas une telle force, des centaines de milliers de personnes, dans la rue le 13 janvier dernier. (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.)En définitive et plus largement, à ceux qui, sans cesse, dénoncent le dumping économique et social qui accable notre pays et qui vantent les mérites de notre mieux-disant social, je demande de ne pas céder à une forme de dumping éthique qui consiste à aligner la législation sociétale de la France sur les pratiques européennes ou mondiales toujours les moins-disantes (Exclamations sur les bancs du groupe SRC.) C’est une quête sans fin dans laquelle nous nous perdrons. Je vous remercie. (Applaudissements sur les bancs des groupe UMP et UDI.)